A quelques kilomètres de Cauterets, la vallée du Lutour offre au randonneur ses paysages enchanteurs au fond desquels coulent des torrents fougueux. Au bout du chemin, le lac d’Estom, dernier cadeau des glaciers, fait briller ses eaux claires dans son écrin minéral. Moins connue que celle du lac de Gaube mais tout aussi belle, la randonnée au lac d’Estom, entre cascades et forêts de pins, chemine doucement le long du gave du Lutour sur fond de sommets enneigés et permet en quelques heures de s’évader au cœur des Pyrénées.

9h30 dans la vallée du Lutour. Je lève le nez du large chemin pavé de grosses pierres plates pour sonder le ciel délavé. Je lui adresse rapidement une prière silencieuse pour qu’il retienne encore un peu au creux de ses nuages la pluie qui menace notre randonnée.

Nous sommes sur le chemin du lac d’Estom. L’odeur de sève de pin emplit mes narines alors que je contemple la vallée de carte postale qui se déploie devant nous. Les montagnes descendent en vagues dorées jusqu’au tapis vert tendre de la vallée. Les sapins couvrent leurs flancs et dégringolent jusqu’au lit du Lutour. Le sentier épouse le torrent et l’eau qui rit entre les pierres glissantes nous accompagne tout le long.

Les premiers kilomètres sont plats. Les bras de la rivière forment des îles vierges et moussues que j’ai envie d’explorer. Je suis intriguée par le monde miniature qui s’est créé sur un amas de sable et de rochers. Mais je continue, tout en jetant de temps en temps des coups d’œil méfiants au ciel gris. Parfois un flot de lumière perce la couche ouatée des nuages et se déverse dans la vallée, changeant d’un seul coup de pinceau toutes les couleurs.

Montée dans la forêt de sapins

Passé la passerelle de bois qui enjambe le torrent, le sentier s’élève et traverse des forêts mélancoliques et nues. Je passe ma main sur les cicatrices des grandes roches plates qui émaillent le chemin. On dirait les scarifications du temps. On dirait aussi la peau d’un éléphant. Je voudrais pouvoir lire dans les pierres et mieux comprendre notre monde.

Lors de brèves éclaircies, le soleil s’amuse avec la végétation d’automne. Les bruyères, les feuilles des myrtilles sauvages et la mousse humide sourient sous sa caresse pendant que les ruisseaux rebondissent sur les pierres luisantes.

Les cascades se suivent au creux des sapins sombres. Au fond, les montagnes fauve et la tête blanche du pic Labas se découpent dans le ciel cotonneux. Je marche dans un tableau clair-obscur de la Renaissance. Puis les arbres masquent complètement les sommets et la forêt aux formes obscures se referme au-dessus de nos têtes.

Sur les rives du lac d’Estom

Nous quittons l’ombre de la montagne et des sapins griffus. Le soleil a passé outre les sommets et déverse un flot de lumière puissant sur le plateau, faisant scintiller au loin la chute d’eau annonçant le lac, briller le toit du refuge et danser l’herbe roussie.

Un dernier effort et nous voici face aux eaux bleu acier du lac d’Estom, lové entre les montagnes aux manteaux de pierre. Le vent souffle fort et ride toute la surface d’éclats d’argent. Nous sommes seuls au monde. Alors je me tourne sur la gauche et découvre toutes les familles qui pique-niquent sur le mince morceau de rive plate.

Nous nous calons au creux d’un rocher pour échapper aux rafales de vent le temps d’avaler nos sandwichs. Tant pis pour la vue. Je la laisse aux parents et aux enfants qui se sont levés plus tôt que nous.

Nous empruntons le même chemin pour redescendre et pourtant tout parait si différent. En tournant de 180°, je vois la vallée du Lutour sous un nouvel angle et les montagnes me révèlent une autre facette.

A 500 mètres du parking, le ciel s’ouvre en deux et libère toute la pluie contenue en son sein. Je pense à ma future récompense pour ne pas me dissoudre dans l’eau froide.

A l’abri dans la voiture, j’observe la route mouillée qui serpente parmi les paysages enflammés par l’Automne. C’est l’heure des feux de cheminée et des chocolats chauds. En attendant de retrouver la montagne, demain.♦︎