Pour gagner le lac Inle, vaste étendue d’eau de 120km² au milieu des montagnes Shan, nous décidons de nous arrêter dans la ville de Kalaw et de parcourir les 45km restants à pied avec un guide. Celui-ci est Indien et fera la totalité du trek dans les montagnes en tongs – et turban. Notre groupe se compose également de trois étudiants américains.
Malgré la chaleur qui ne cesse d’augmenter depuis que nous sommes arrivés au Myanmar, la marche est agréable et plutôt facile, et nous traversons des paysages arides faits de champs et de quelques villages. Il reste assez peu de forêt alors que notre guide nous raconte qu’il y a cent ans, ces montagnes étaient recouvertes de jungles et habitées par des tigres et des ours, aujourd’hui quasiment disparus. Comme dans la majorité des endroits sur terre, ce que nous appelons aujourd’hui nature ou campagne est en fait une nature modifiée par la main de l’homme et il reste peu d’espaces intacts dans le monde…
De plus, les villageois pratiquent la culture sur brûlis, incendiant volontairement de larges parcelles de forêt dans le but de renouveler la terre. C’est une tradition ancestrale à laquelle ils ne sont pas prêts de renoncer mais qui a des conséquences désastreuses : celle de détruire l’habitat naturel de nombreux animaux dont les oiseaux – même si les arbres ne brûlent pas car certaines espèces résistent au feu -, celle aussi d’appauvrir la terre pour plusieurs années.
Vers la fin du deuxième jour, nous marquons une pause au sommet d’une petite colline pour profiter du panorama. Notre guide nous explique alors que de part et d’autre du lieu où nous nous trouvons, les montagnes sont interdites aux touristes – comme beaucoup d’endroits au Myanmar. Nous cherchons à savoir pourquoi et ce qui pourrait nous empêcher d’aller voir. Nous sommes vite éconduits en apprenant que derrière les montagnes se pratique la culture de l’opium, bien gardé par des villageois équipés de M16, l’arme d’attaque des soldats américains… Au Myanmar, le trafic d’opium est la principale ressource de nombreuses vallées qui, pour l’exploiter, ont créé de véritables armées afin d’en protéger les accès. Ainsi dans l’Etat du Shan évoluerait une mafia de plus de 15000 hommes – et jusqu’à 50000 les provinces du Nord. Pourtant la consommation d’opium est fortement réprimandée dans le pays. L’Etat semble jouer un double rôle, interdisant d’un côté et fermant les yeux de l’autre sur des activités illicites, en y trouvant certainement un intérêt – rappelons que le Myanmar fait partie des pays les plus corrompus. Tout cela explique pourquoi certaines zones sont interdites aux étrangers ou uniquement accessibles en avion…
Néanmoins, notre trek nous enchante, en particulier les étapes que nous faisons le soir. Nous passons la nuit chez l’habitant dans des villages qui ne disposent ni d’eau courante ni d’électricité à part quelques heures le soir. Dans un des villages, les habitants doivent même aller se ravitailler en eau à la rivière à deux heures de marche. Nous prenons notre « douche » dans la cour, notre intimité seulement préservée par un petit paravent largement ouvert sur un côté, nous donnant l’impression d’être nus au milieu des champs… Nous disposons juste d’un baquet d’eau fraîche, plutôt bienvenue après une journée de marche dans la poussière rouge de la piste.
Les tenues des femmes sont différentes de celles des Birmanes vues à Bagan et Mandalay. Elles portent des foulards sur la tête et les coupes et couleurs de leurs vêtements semblent changer à chaque nouvelle vallée que nous traversons.
Un cuisinier nous attend le soir au village avec des plats délicieux et beaucoup plus variés que dans les restaurants. Il passe quatre heures chaque soir à préparer des soupes de lentilles à la coriandre et lait de coco, des currys de poissons, tofu ou poulet et pommes de terre, des salades de tomates, des légumes mijotés – et bien sûr du riz.
Après trois jours de marche, nous atteignons enfin le lac Inle que nous traversons du Sud au Nord pour gagner le village de Nyaungshwe, notre nouvelle étape.