Pour avoir vécu mon enfance et mon adolescence à quelques kilomètres de la Belgique, j’ai toujours été frappée par le dynamisme des petites villes belges, comparées aux villes françaises de même taille. Je me rappelle les terrasses animées, les rues pleines de flâneurs le dimanche après-midi quand ma ville demeurait assoupie, imperturbable. Il nous arrivait alors de temps à autre d’aller chercher cette animation de l’autre côté de la frontière.
Bruges, située dans le nord-ouest de la Belgique, est ce genre de ville chaleureuse et vivante. Pourtant, cette fois, j’ai été saisie par l’aspect soigné, figé et finalement artificiel du centre historique, lui donnant presque un côté « village Disneyland ».
Dès le matin, piétons et cyclistes, bien ordonnés, se déversent sur les places impeccables du Burg et du Markt, abritant un beffroi vertigineux, un prestigieux hôtel de ville et un palais provincial imposant. Un réseau de canaux romantiques parcourt la vieille ville, bordé de façades de briques et de vieux ponts pittoresques où les couples prennent la pose et font des selfies. Aujourd’hui les bateaux chargés d’épices et de textiles venant de toute l’Europe ont été remplacés par de jolies barques soignées transportant des touristes. Les maisons avec leurs pignons à gradins, symboles de l’architecture flamande, se dressent fièrement, propres et nettes, dans un camaïeu de roses porté par les briques ou la peinture fraîche. Certaines arborent leur date de construction, comme pour attester de leur authenticité. Je me demande combien de ces maisons iconiques sont des Airbnb louées aux touristes le temps d’un weekend.
De nombreuses calèches promènent les visiteurs sur les rues pavées, promesse d’un moment unique et magique. Les voitures, peu nombreuses, sont surprenantes dans ce décor médiéval figé. Des boutiques jalonnent les rues proprettes et étalent leur marchandise dans une profusion de confiseries, pâtisseries aux couleurs surnaturelles, chocolat belge sous toutes les formes imaginables et autres souvenirs kitchs. Brassée depuis 2005, la Brugse Zot coule dans les verres, servie dans des bars néo-rétro comme bière traditionnelle locale.
Les rues semblent se remplir de restaurants, de magasins et d’hôtels pour touristes, laissant le centre vidé de ses résidents perpétuels, que d’autres habitants éphémères peuplent quelques jours par semaine. La vieille ville commence à avoir des airs de parc d’attraction où il faudrait exhiber tout ce qui résume la Belgique aux yeux des étrangers : la bière, le chocolat, les gaufres, les baraques à frites.
La nuit, Bruges retrouve son calme, les contours impeccables des maisons s’estompent, les barques restent amarrées aux quais. Les calèches disparaissent et les touristes se font rares le long des canaux tortueux. On peut flâner, rêver, se projeter à l’époque de la Bruges capitale économique de la Flandre. L’activité des canaux battait son plein. Des marchands génois, vénitiens, castillans ou portugais venaient échanger la laine, le cuir, le bois ou encore les peaux de leurs pays. De prestigieux édifices étaient bâtis et façonnent encore le visage de la Bruges d’aujourd’hui. Un beffroi fut érigé, symbole ultime de l’indépendance de la ville.
On peut alors se perdre dans cette époque où le tourisme n’était pas la principale ressource.
La nuit, Bruges nous appartient. ♦