Remonter le temps à Saint Denis
Retrouver mes notes, rouvrir la boîte des souvenirs. Dérouler le fil de ma mémoire. Je suis sur les traces d’un séjour plus ancien, sur la piste des réminiscences, celles qui me feront atteindre la source du voyage originel.
Sous mes paupières closes, la piste d’atterrissage se matérialise. Chaleur, embrassades, sommeil. Et enfin la magie opère.
Rue de Paris, Saint Denis. Janvier 2015
Mes pas sur le bitume chaud, noir, pareil à une roche volcanique, sous un ciel lourd.
Blottie entre les flancs verts des montagnes et l’infini bleu de l’océan, Saint Denis déploie ses immeubles blancs et carrés enchevêtrés le long d’avenues trop droites. Exhalant une effervescence molle toute tropicale, la vie s’écoule au rythme des administrations qui sont légions.
Sous le soleil humide, je remonte la rue et le temps.
De part et d’autre s’épanouissent des maisons créoles et coloniales. Lambrequins, colonnes et statues imposantes. Leur beauté n’a d’égale que le passé douloureux dont elles ont été témoin. Construites au XIXe siècle, elles ont côtoyé l’esclavage et certaines se sont sans doute bâties sur la souffrance d’une partie de la population. Une dualité irréconciliable.
Comme souvent dans les villes situées au sud de l’équateur, la nature des tropiques déborde le béton, s’invite dans les jardins. Des palmiers intimidants me toisent puis se balancent dans l’absence de vent.
La ville est éclaboussée de jaune, de fuchsia et de vermillon.
A quelques rues de là, le Petit Marché de Saint Denis déroule ses étals débordant de fruits et de légumes de saison, sa profusion de fleurs exotiques, ses odeurs épicées, dans un motif coloré imprimé durablement dans nos rétines. Une invitation à se plonger tout entier dans la culture créole.
Les rocheuses vertes du Colorado
En haut, tout en haut de Saint Denis, le parc du Colorado expose aux alizés sa vaste plaine et sa station météorologique. Nous laissons derrière nous les jeux d’enfants pour nous engager sur le sentier de l’Ilet à Guillaume.
Enveloppée par l’odeur humide et salée de la forêt, je cherche à ne penser à rien, à oublier les évènements tragiques qui ont assombri les balbutiements de cette nouvelle année. Le contraste est grand entre la douceur de l’île créole et l’hiver parisien endeuillé. Je me concentre sur mes pas et la chaleur de l’été tropical absorbe mon vague à l’âme.
Le chemin de poussière rouge ruisselle entre le kaléidoscope vert de la végétation. Chocas et poivriers, parmi tant d’autres, jouent leur part dans ce taillis inextricable, créant un abri rassurant qui me protège de mes propres pensées.
« Parfois l’horizon s’ouvre. Devant moi, les ondulations nerveuses de la montagne descendent en vagues vertes jusqu’à l’océan. »
Nous progressons à flanc de montagne. Au-dessus de nos têtes, les sommets tendent leurs crêtes ciselées vers le ciel cotonneux.
Parfois l’horizon s’ouvre. Devant moi, les ondulations nerveuses de la montagne descendent en vagues vertes jusqu’à l’océan.
Bientôt, nous atteignons un col offrant une vue sur tous les côtés. C’est l’heure de la pause. A l’ombre, nous partageons biscuits, fruits secs et eau fraîche.
Comme nous, un arbre solitaire modelé par le vent surplombe la ville blanche et le désert bleu de l’océan.
De retour dans la pénombre de la forêt, nous marchons sur un tapis de racines. Derrière les branches, la montagne éventrée laisse s’écouler vers le large la rivière Saint Denis, dont l’unique but est de mêler son cours rapide aux eaux salées de l’océan.
Ce sont mes derniers jours dans l’île Bourbon et j’essaie d’emmagasiner dans un coin de ma mémoire le plus de paysages endémiques, de collectionner les couleurs et les odeurs, de conserver la sensation de la brise chaude sur ma peau.
Alors du cœur de la montagne surgit une cascade mystérieuse, un trait blanc puissant qui vient se perdre dans un gouffre sans fond. Je grave en moi cette apparition pour pouvoir me raconter, au coin du feu, des histoires d’aventures, des mondes secrets inconnus et croire qu’il existe encore des zones banches jamais explorées.♦︎