Baptême de la foule à Calcutta

(MIS A JOUR LE 10 SEPTEMBRE 2021)
Une nuit indienne

Après avoir échangé nos derniers yuans pour des roupies indiennes à l’aéroport, nous prenons un taxi prépayé pour nous rendre au Sunflower, notre hôtel à Calcutta. La voiture jaune échappée des années cinquante file à vive allure sur la route chaotique. Je cherche sans succès une poignée pour m’accrocher et amortir les secousses. Rapidement apparait dans les phares notre première vache sacrée, immobile au milieu de la nuit.

Il est 1 heure du matin, je suis lasse et fatiguée mais je tente d’apercevoir l’Inde par la fenêtre. J’ai lu, vu et entendu tant de choses sur ce pays. J’ai hâte, j’ai peur, j’hésite à me confronter à la réalité. Les faubourgs que nous traversons sont plongés dans l’obscurité et laissent mon imagination déborder.

A l’approche du centre-ville, un troupeau de chèvres barre la rue. J’imaginais une plongée dans l’urbanisme indien et j’ai l’impression d’atterrir en pleine campagne.

« Le chauffeur de taxi réveille le veilleur de nuit qui réveille le groom qui réveille le gérant. »

Arrivé·e·s à l’hôtel, tout le monde dort. Le chauffeur de taxi réveille le veilleur de nuit qui réveille le groom qui réveille le gérant. Je remonte les étages et le temps dans l’ascenseur manœuvré à la main. La réception est située au dernier niveau, au bout d’un petit jardin.

« You need hot water, you tell the boys. You need towels, you tell the boys. Anything, you tell the boys. » explique le gérant. À chaque pallier se trouvent au moins deux jeunes hommes pour s’occuper des clients. Ils n’ont pas d’identité, ce sont les « boys ». Ils dorment dans les couloirs devant les chambres, sur des paillasses étalées sur des tables. Allongée sur mon lit aux draps râpés, seule une mince cloison sépare nos deux têtes. Je suis juste du bon côté.

J’ai soif depuis que nous nous sommes envolé·e·s de Chine et je n’ai pas pu acheter d’eau dans l’avion ou à l’aéroport. Boire devient une obsession et m’empêche de trouver le sommeil. J’utilise pour la première fois depuis le début de notre voyage des cachets de Micropur pour désinfecter l’eau du robinet. « C’est le moment où jamais de prouver votre efficacité. ». Il est tard ou tôt, je ne sais plus, et je parle à un seau en plastique bleu rempli d’eau et de comprimés.

A la lumière du jour, le Sunflower se révèle être un immeuble ancien de style colonial. Un escalier monumental en bois sombre occupe tout l’atrium qui sert de hall d’entrée. Il y règne le souvenir de l’Inde coloniale, le charme désuet de la grandeur d’autrefois laissée à l’abandon. Nous prenons nos petit-déjeuners dans une salle mi-réfectoire mi-salon aux murs jaune pâle et au sol carrelé brillant comme du quartz. Chaque « boy » apporte à son client attitré un plateau qu’il pose soigneusement sur la grande table centrale ou sur une des tables basses disposées devant les canapés fatigués. Les petit-déjeuners sont tous les mêmes et il est impossible d’y apporter la moindre modification. Nous tentons deux fois de supprimer les œufs mais ils arrivent toujours sur l’assiette avec les toasts, la banane et le thé.

Dans cette salle feutrée, nous rencontrons d’autres voyageurs au long cours, venant principalement d’Europe et des États-Unis. La plupart passent plusieurs mois en Inde. Une Allemande nous confie qu’elle s’habille en pantalon et tunique comme les Indiennes pour se fondre dans le décor. Elle voyage seule et je suis impressionnée.

« La vie s’étale et s’expose partout. Elle déborde de la sphère privée. »

Nous quittons l’enceinte protégée du Sunflower pour explorer la ville. Je me blinde intérieurement à cause de tout ce que l’on m’a raconté sur la misère des rues indiennes. Mais Calcutta est la capitale culturelle du pays avec ses nombreuses universités et institutions, et dans le quartier de Taltala, des librairies, des cafés et des restaurants bordent les grandes avenues plantées d’arbres. Les anciens bâtiments coloniaux un peu décatis côtoient les petites baraques faites de matériaux de récupération et les constructions plus récentes déjà usées. Tout semble avoir été rafistolé cent fois. Histoire d’une gloire passée.

Beaucoup de commerces jalonnent les rez-de-chaussé des immeubles mais s’étendent aussi sur les trottoirs ou directement dans la rue. La vie s’étale et s’expose partout. Elle déborde de la sphère privée.

Nous croisons une écrasante majorité d’hommes, pressés, affairés. Comme chez nous, ils passent à coté de gens dormant dans la rue. Ici les cabanes servant aussi de boutiques de fortune remplacent les tentes Quechua. Le tout dans un concert de klaxons assourdissant.

escalier sunflower calcutta
avenue quartier taltala calcutta
trafic rue calcutta
bus bondé calcutta
immeuble rafistolé calcutta
cabane calcutta
vie quotienne calcutta
camionette très chargée calcutta
dessin india is great
bus rouge et jaune calcutta
panneau de rue calcutta
taxis jaunes et bus calcutta
salon de coiffure calcutta
bus bondé calcutta
Le poumon vert de Calcutta

C’est dimanche et au Maidan Park, le plus grand de la ville, il faut faire attention lorsque l’on traverse les grandes pelouses pour ne pas se retrouver en plein match de cricket. Des vendeurs ambulants vendent du chaï. Des calèches décorées de motifs peints ou de métal argenté sculpté attendent des passagers. Des familles se reposent à l’ombre des vieux arbres ou au bord du lac artificiel. Ballet de saris aux couleurs chatoyantes qui se reflètent dans les eaux calmes. Malgré le monde, l’impression d’espace est grande et je me rends compte que j’apprécie ce moment de repos pour les oreilles, hors de la foule grouillante des rues.

Calcutta a été la capitale des Indes Britanniques entre 1773 et 1912 et le Victoria Memorial qui trône immaculé au milieu du parc fait partie des nombreux édifices d’architecture victorienne peuplant le quartier. Beaucoup d’Indiens sont venus admirer son hall circulaire, ses galeries de peintures, ses jardins impeccables. Les enfants courent d’une salle à l’autre parmi les tableaux représentant l’Inde du XVIIIe siècle sous l’œil indifférent de la statue en bronze de la reine Victoria.

« Je flotte entre la foule pressante et les stands de rue, les vieux immeubles et les taxis jaunes . »

Fin de cette première journée sur le sol indien. Les bus sont pris d’assaut et nous rentrons à l’hôtel sous la lumière partielle des rares lampadaires. La vie ici est si éloignée de la mienne, le décalage si grand que j’ai l’impression d’évoluer dans un décor de film la plupart du temps. Je n’arrive pas à assimiler ce que je vois. Je flotte entre la foule pressante et les stands de rue, les vieux immeubles et les taxis jaunes. L’Inde est de loin l’endroit le plus dépaysant où j’ai posé les pieds jusqu’à présent. Un peu paralysée par tout ce qu’il y a à observer, à sentir, à entendre, je fais peu de photos. Le plus dur pour moi reste le regard des hommes. Je porte un t-shirt sans manche et c’est comme si je déambulais nue dans les rues. Voir les ventres dépasser des saris ne pose pas de problème mais dévoiler ses épaules quand on est une femme apparait plus compliqué. Ou bien c’est autre chose, que je ne parviens pas à saisir, hors de ma portée. Je sais qu’il me faut quelques jours pour m’acclimater dans un nouveau pays et faire peu à peu partie du décor, ou tout au moins paraître plus naturelle et me sentir à l’aise. Je me demande combien de temps il me faudra cette fois.

victoria memorial marbre blanc
cricket maidan park calcutta
indiennes en saris victoria memorial
jardins victoria memorial calcutta
victoria memorial coucher de soleil
filet bus calcutta
foule bus calcutta la nuit
Les marchés et la vieille ville

Aujourd’hui je porte un t-shirt et j’attire moins les regards.
En route pour la vieille ville, nous traversons le New Market, immense bâtiment rouge labyrinthique. Accompagné·e·s d’un guide autoproclamé qui nous propose une large gamme de produits illicites, nous nous perdons parmi les 2000 stands, dans les halles et les allées, cerné·e·s d’épices, de tissus, de bagages, d’ustensiles, de légumes. Énumération sans fin. Dans la plus ancienne partie, des hommes vêtus de longhi à carreaux débitent des carcasses sur place, dans la poussière et la saleté. L’odeur âcre est difficile à supporter et je m’imagine sur un marché du Moyen-Age directement sorti des films d’époque.

A l’extérieur, dans la lumière vive du sous-continent, le marché a colonisé les alentours sur une vaste zone. Chaque rue a sa spécialité. Étourdis par les piles de produits aperçues à l’intérieur, nous ne nous sentons pas le courage d’une nouvelle exploration et décidons de prendre le métro pour atteindre la vieille ville. Le train arrive avec ses wagons réservés aux femmes. Une solution pour prévenir le harcèlement sexuel et les agressions qui s’avèrera inefficace et sera abandonnée au profit de sièges réservés dans des voitures mixtes.

La Vieille Ville.
Ivresse et vacarme des grandes artères palpitantes et soupir des ruelles calmes flanquées de maisons basses aux couleurs des pigments indiens. Tuk-tuk, rickshaw, motos, vélos, piétons tous ensemble sur la route, dans tous les sens. Tourbillon de noblesse et de misère, de souffrance et de richesse, de couleurs et de vie.

« Danse des couleurs et des odeurs, mélange des motifs et des textures, les pieds dans la boue. »

Au pied du pont Howrah qui enjambe de ses bras massifs et métalliques le fleuve Hooghly, se déploient des montages de petites boules jaunes et orange. Innocemment nous pensions arriver sur un marché de fleurs coupées et nous balader entre les étals d’un fleuriste géant. Mais au Mullick Ghat, on vend chaque jour des tonnes de fleurs fraîches destinées à la décoration et aux offrandes des cérémonies hindoues. Le marché de Calcutta est le 2ème plus grand de l’Inde et offre le spectacle inlassable des marchandes et des marchands venu·e·s en nombre se ravitailler. Plutôt discrètes dans le reste de la ville, les femmes œuvrent ici à la confection de guirlandes d’œillets ou marchandent âprement des sacs de roses ou de jasmins. Danse des couleurs et des odeurs, mélange des motifs et des textures, les pieds dans la boue.

Le soleil, qui décline depuis le début de l’après-midi, se décide à glisser dans les eaux du fleuve. En haut, le pont Howrah est le théâtre d’embouteillages monstres pendant qu’au pied du quai, les Hindous accomplissent leurs ablutions rituelles dans le calme fugace de la fin de journée.♦︎

halle boucherie new market calcutta
allée du new market calcutta
triporteur chargé calcutta
taxis jaunes calcutta
vieux immeubles calcutta
ruelle vieille ville calcutta
petite rue calcutta
vieux immeuble vieille ville calcutta
portrait groupe enfants calcutta
jungle urbaine calcutta
marché aux fleurs calcutta
femme avec guirlandes de fleurs calcutta
vendeuses de fleurs calcutta
indienne marché aux fleurs calcutta
stand guirlande oeillets marché calcutta
Mullick Ghat marché aux fleurs
vente guirlandes de roses calcutta
vieille ville calcutta
marché aux fleurs calcutta
guirlande oeillets calcutta
ablutions fleuve Hooghly calcutta au coucher du soleil
coucher de soleil pont Howrah

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *