De la lave aux portes de l’église
Saint-Philippe 35km. Nous laissons derrière nous Saint-Pierre pour aller toujours plus au sud, ce sud sauvage pluvieux et oublié. Qui nous attire donc irrémédiablement. Direction le sud-est verdoyant de la Réunion. Mais pour l’instant les plages de sable fin disparaissent et la côte devient de plus en plus minérale à mesure que nous approchons du Grand Brûlé, une vaste étendue rendue désertique par les fréquentes coulées de lave du Piton de la Fournaise.
D’origine volcanique, l’île a jailli de l’océan Indien il y a deux à trois millions d’années. Aujourd’hui encore, le Piton de la Fournaise façonne le paysage de la Réunion. A chaque grande éruption, le volcan accroit un peu plus le territoire. La lave qui s’écoule du cratère descend jusqu’à la mer, créant une nouvelle plage de sable noir que la végétation vient lentement recouvrir. Des sites d’une rare beauté sauvage.
A Piton Sainte-Rose, la lave s’est arrêtée aux portes de l’église. Une muraille de pierres noires et figées encercle l’humble édifice qui a su résister à l’éruption de 1977, alors que le reste du village est englouti. Pour la première fois depuis 177 ans, elle a lieu hors de l’enclos, prenant de cours les habitants.
Un miracle qui a aussi épargné la gendarmerie et qui s’explique par le choc thermique avec la pierre dont les deux édifices sont faits, provoquant un refroidissement de la lave en surface. Freinée, celle-ci a préféré contourner l’église et la gendarmerie pour poursuivre sa course vers l’océan.
Un miracle qui donna son nom à Notre-Dame-des-Laves.
L’Anse des Cascades, un petit coin de paradis
Passé le volcan, on est plongé dans une nature épaisse et humide, contraste saisissant après les paysages austères. La route est superbe, bordée de palmiers, de fougères et de grands arbres aux feuilles luisantes. Des cases colorées ponctuent régulièrement le chemin. Le sud-est apparaît moins peuplé, plus vert et chatoyant que le reste de l’île. Son climat pluvieux en fait le paradis de la vanille, de la canne à sucre et logiquement des distilleries de rhum. L’ambiance change et la Réunion prend des airs de Caraïbes.
La route traverse une forêt de palmistes puis débouche sur une crique sauvage. La plage est toute noire, cernée de falaises recouvertes d’une végétation abondante d’où jaillissent des dizaines de cascades. Des barques de pêcheurs sont échouées sur un débarcadère rudimentaire. Seul le son des cascades que l’on perçoit avant de les voir, et le bruit des vagues se brisant contre les basaltes noirs viennent perturber le calme du lieu. Le ciel bas rend les verts profonds et les noirs intenses.
Nous commandons un américain bouchon et un smoothie aux fruits exotiques dans un petit snack face à la mer. La propriétaire nous apporte deux sandwichs garnis de frites et de raviolis vapeur à la viande, nappés de fromage fondu.
Nous contemplons pendant longtemps cet endroit très beau. Des belliers et des cardinaux se posent à côté de nous, tâches jaunes et rouges nichées dans les vacoas et les banians. Je voudrais me perdre sur le chemin côtier et ne jamais revenir à la réalité.
Il règne ici une ambiance de bout du monde. On imagine les navigateurs du temps longtemps débarquer sur ce paradis perdu et poser les yeux sur cette nature merveilleuse.
Même si en réalité c’est par la côte ouest que commence l’histoire du peuplement de la Réunion. Longtemps restée tranquillement sauvage et brute, l’île est seulement abordée par une poignée de marins arabes, européens et malais, avant que les Français décident de la peupler il y a près de quatre siècles.
Aujourd’hui, l’anse des Cascades a été transformée en promenade du dimanche avec des parkings et des aires de pique-nique. Mais à part les chemins et les paillotes, elle garde un charme fou qui renvoie toujours au fantasme de petit coin de paradis.
Baignade à Bassin Bleu
Nous reprenons la route à la recherche d’un endroit où nous baigner. Car à la Réunion, même si les plages charmantes nous tendent les bras, on ne nage pas où l’on veut. Les fréquentes attaques de requin qui ont frappé l’île ces dernières années ont conduit les autorités à restreindre la baignade aux lagons et aux zones protégées.
A Sainte-Anne, une quinzaine de kilomètres au nord de Piton Sainte-Rose, l’estuaire de la ravine du Petit Saint-Pierre forme une piscine naturelle au nom prometteur : Bassin Bleu. Nous garons la voiture et traversons un parc très aménagé avec des kiosques et des allées ombragées, où la nature sauvage n’a plus sa place. Nous sommes tristes en songeant à quel point l’homme est prêt à modifier un site afin d’en profiter. Nous quittons alors le parc et nous atteignons un bout de nature indomptée et évidemment, c’est cette nature intacte qui est la plus belle. Nous sommes éblouis par la pureté de l’eau, dans laquelle se reflètent les palmiers.
Nous regagnons Ravine-des-Cabris, notre camp de base, au coucher du soleil. Le ciel s’enflamme puis se pare de couleurs cocktail. Demain nous attend une nouvelle aventure. Demain nous partons à l’assaut des pitons et des montagnes.♦︎