Des groupes de cases, éloignés les uns des autres par quelques dizaines de mètres, s’étalent tranquillement entre des champs en jachère et des collines boisées. Cette organisation en concession, que l’on retrouve dans les villages traditionnels du Burkina Faso, permet aux Lobi du village de Sansana de vivre à proximité des membres de leur famille.
Évoquer les Lobi comme un seul et même peuple est restrictif car le terme regroupe 7 ethnies : les Gans, les Djan, les Birifor, les Dagara, les Pougouli, les Thuni et les Lobi. Leurs langues diffèrent mais ils partagent une organisation sociale particulière, une architecture spécifique défensive et une croyance animiste.
Originaires du Ghana, les Lobi du Burkina Faso ont résisté puis subi l’âpre colonisation française du XIXe siècle. Ils conservent de cette époque un profond rejet et une grande méfiance de ce qui est étranger à leur culture. Leur mode de vie traditionnel est ainsi relativement préservé.
La place des femmes dans la société Lobi est très importante. S’ils pratiquent l’élevage et l’agriculture, seules les femmes peuvent devenir potières ou chercheuses d’or. C’est par elles qu’est transmis le nom de famille aux enfants.
Les prénoms obéissent aussi à une règle stricte et sont donnés en fonction de l’ordre de naissance. Ainsi l’aîné sera toujours nommé Sié s’il s’agit d’un garçon et Yeni d’une fille ; le deuxième enfant s’appellera Sana puis le troisième Ollo, et ensuite viendront Koko, Bêbê, Thô…
Notre guide nous introduit auprès du chef du village et traduit pour nous les requêtes des habitants. A chaque concession, le doyen donne ou non l’autorisation de photographier les cases.
Peuple guerrier fier et rebelle, ses cases sont bâties comme des forteresses miniatures, avec des murs épais munis de meurtrières et placées à un jet de flèche les unes des autres. 6 couches de terre sont nécessaires pour monter ces murs, créant des strates bien visibles. Les toitures sont réalisées à partir d’un ciment Lobi composé de terre, de paille et d’argile, coulé sur un plancher de bois.
Poules, coqs, pigeons, chiens, truies et porcelets surgissent de chaque recoin, étendus à l’ombre étroite des cases, trottinant sur les toits, émergeant d’un trou ou de l’ouverture d’une maison.
Un groupe d’enfants nous suit d’abord, timide, puis prenant de l’assurance, demande à nous taper dans les mains. La plupart sont nus, les cheveux ras ou nattés en tresses serrées plaquées sur le crâne.
A l’intérieur des cases, on butte dès l’entrée sur un grenier. Dans la pénombre, plusieurs minutes sont nécessaires pour prendre conscience des volumes et des sobres ornements de la cuisine, véritable première pièce de la case. Il n’y a pas de mobilier mais un foyer, des marmites et quelques ustensiles.
Dans la salle suivante, des poteries s’entassent sur un mur. On en compte une dizaine en hauteur et au moins autant en largeur. Les femmes Lobi cachent leurs bijoux et leur or dans les poteries du bas pour que les éventuels voleurs n’aient pas le temps de les dénicher avant qu’un membre de la famille, nombreuse, le surprenne.
Les Lobi ne possèdent pas de lit et dorment sur le sol de leur case, aplani par leur ciment pour le rendre plus confortable. Quelques coquillages incrustés l’agrémentent parfois et sont un signe de richesse. Les Lobi sont polygames et chaque femme possède sa chambre et son lot de poteries. Pour se séparer, il faut briser la poterie du divorce.
Au détour des pièces, se devinent des mouvements furtifs, des frôlements, le bruit des nattes que l’on soulève pour passer entre les chambres. Des silhouettes aperçues subrepticement dans un un rai de lumière s’évanouissent dans l’ombre.
Une échelle de bois aux marches à peine esquissées mène à la toiture et à la lumière aveuglante, contraste violent avec l’obscurité du foyer. A la saison chaude, les Lobi dorment sur leur toiture terrasse sous la voûte étoilée, au cœur d’un paysage vallonné qui tranche avec le reste du pays.
Le dernier groupement de cases appartient à une famille de balafonistes. Un des chefs est mort récemment et ses membres n’ont plus le droit de jouer du balafon jusqu’à ses funérailles.
Chez les Lobi, elles s’effectuent en 2 temps. Les premières funérailles s’accompagnent de lamentations, pleurs et cris. Les Lobi dansent, évoquent la vie du défunt et parent son corps de ses plus beaux vêtements. Ils questionnent le mort pour établir la cause du décès puis l’enterrent. S’ensuit une période de deuil variant de 2 semaines à 1 an, pendant laquelle la famille du défunt est soumise à des règles strictes. Les veuves, alors impures, vivent séparées du reste du village. Elles ne se lavent plus, évitent de sortir et se rasent la tête. Ce laps de temps, pendant lequel l’esprit du défunt est encore présent, permet de préparer son voyage vers l’autre monde. Lors des secondes funérailles, plus festives, les Lobi célèbrent l’entrée du mort dans le monde des ancêtres. Sa famille peut alors reprendre le cours de sa vie.
Des villageois sont installés sur des chaises et des troncs d’arbre au pied d’un manguier. Le guide s’assoit auprès d’une vieille femme et demande à être photographié. Sa lèvre supérieure percée est ornée d’un disque blanc de corne ou d’ivoire. Signe extérieur de beauté, le labret permettait aux jeunes filles d’accéder au statut de femme Lobi lors de rites d’initiation. Aujourd’hui, les jeunes femmes ont délaissé cette pratique, jugée passée de mode et dangereuse à cause des infections et déformations possibles. Désormais seules quelques octogénaires l’arborent encore.
Les mains de la vieille femme de Sansana sont noueuses, sans doute ont-elles vu passer beaucoup de choses.
Les villages d’artisans du pays Lobi
Trois femmes tissent des paniers rectangulaires à fond plat et angles arrondis. Elles utilisent la paille issue de grandes tiges séchées provenant de la savane environnante, qu’elles entremêlent de fibres plastiques vertes, bleues, blanches ou roses. Nous sommes dans un village de vannières.
Assis sur un banc bas apporté pour nous, dans la torpeur de l’après-midi, nous assistons au spectacle apaisant du tressage d’une corbeille. Les femmes commencent par réaliser le fond. Elle préparent ensuite les supports qui vont servir à guider les côtés puis tissent ceux-ci en ajoutant parfois des brins de couleurs afin d’orner sobrement le panier de quelques lignes colorées. Une bordure vient terminer l’objet.
Plus loin, un village de quelques dizaines de cases abrite les sculpteurs de bois. Cette pratique est l’apanage des hommes qui utilisent le karité, le tek et l’ébène, essences naturellement présentes dans leur environnement. Les objets sculptés en bois brut sont inégaux mais de certains se dégagent une grande beauté plastique. Une figurine aux lignes pures. Une élégante canne ouvragée d’un beau bois blond. Des sièges anthropomorphes, à 3 pieds pour les hommes et 4 pour les femmes. L’assise forme un corps, les pieds rappellent les membres et un visage aux traits minimalistes est disposé à l’extrémité. Les hommes portent fièrement leur siège sur l’épaule et l’emmènent au marché pour pouvoir s’asseoir quand qu’ils le souhaitent.
Au centre d’une assemblée de femmes et d’enfants, un homme assis sur des copeaux sculpte. Il façonne une statuette à l’aide d’un maillet de bois. Son geste est assuré. Visage androgyne au front haut et au regard vide, corps étroit avec des seins, bras et jambes massifs, la femme sculptée se tient debout, droite et digne, ancrée dans son sol de bois, comme face à son destin. ♦