A la fin d’un jour froid de janvier, je lance à Guillaume « Et si on partait quelques jours au soleil ? ». Deux semaines plus tard, nous posons le pied sur le tarmac du plus petit état de l’Union Européenne.
Vue d’avion, Malte est un minuscule rocher plat de 246 km2 perdu sur la surface lisse de la Méditerranée. Un plateau aride bordé de falaises. Malte, c’est un archipel de 8 îles dont seulement 4 sont habitées.
Plonger dans le passé à La Valette et aux Trois Cités
Le taxi s’engouffre dans les rues serrées et perpendiculaires de La Valette. Je me contorsionne pour apercevoir le haut des immeubles. La ville mesure 1 km dans sa plus grande largeur. C’est moins que le village où j’ai grandi mais incroyablement plus dense. Des édifices remarquables fleurissent à chaque coin de rue. Elle est la plus petite capitale de l’UE et ajoute encore un « petit » à sa collection.
Dans les jardins d’Upper Barrakka, debout face à la mer Méditerranée, je contemple le Grand Port. J’essaie de me représenter Jean Parisot de La Valette, alors à la tête de l’Ordre de Malte, supervisant la fortification de la ville qu’il était en train de créer.
Point stratégique, l’île a été une terre d’invasion pendant plusieurs millénaires. Siciliens, Phéniciens, Grecs, Carthaginois, Romains, Arabes, Normands, Allemands, Français, Espagnols et Anglais sont passés par là à un moment ou à un autre de l’Histoire. Les traces de son passé se lisent dans les temples mystérieux, les balcons traditionnels, les cabines téléphoniques rouges, la cuisine métissée, les statues de vierges et de saints à tous les angles et surtout dans la langue. Le Maltais, à la grammaire arabe, contient aussi des mots d’Italiens, d’Anglais et de Français. Seule langue arabe à l’écriture latine.
« En plus des fortifications, des hôpitaux et des palais, des bibliothèques et des églises sortent de terre sous les mains des ouvriers et des esclaves maures. »
C’est certainement l’Ordre des Hospitaliers qui a laissé le plus de marques sur cette partie de l’île, en voulant faire de Malte au XVIe siècle « le rempart de la chrétienté » contre les Turcs, les Ottomans et les Arabes. En plus des fortifications, des hôpitaux et des palais, des bibliothèques et des églises sortent de terre sous les mains des ouvriers et des esclaves maures.
Alors que nous poursuivons notre exploration au flanc des remparts, j’observe les trois forts qui dominent le Grand Port et je me dis que cette île est imprenable.
Au bout de la péninsule, je tourne volontairement le dos au nord-ouest et à la moderne Sliema dont les barres d’immeubles semblent pousser des rochers. Je ne veux voir que le charme doré des Trois Cités, les trois villes soeurs qui font face à La Valette. De leurs anciens noms chantants Senglea, Vittoriosa et Cospicua. Trois bras fortifiés qui s’avancent ensemble sur la Méditerranée.
A l’intérieur des remparts, les quartiers et les faubourgs se suivent et se confondent. La ville est vide et la plupart des restaurants n’ouvrent que le midi pour les travailleurs. La capitale est avant tout un centre d’affaires et ses habitants la quittent peu à peu au profit du nord-est. En louant un appartement bien situé sur Airbnb, nous participons aussi à sa désertification.
En bas, les anciens docks ont été rénovés en restaurants et bars, sur fond de remparts, grues et bateaux de croisière.
La quiétude règne dans les Trois Cités. Le soleil de l’après-midi frappe le haut des murs ocres, rebondit sur le bois vert sapin des balcons et s’enfuit vers la mer, nous laissant dans l’ombre des ruelles étroites. Au-dessus de nos têtes, le ciel bleu éclate entre la cime des immeubles.
Je suis fascinée par le Grand Port de La Valette. Je l’imagine à sa grande époque, alors au cœur des routes maritimes, grouillant de la vie des marins et des corsaires, des artisans et des soldats, des riches commerçants et des notables. Je remplace les centaines de voiliers et les yachts de luxe amarrés au pied des murailles par autant de navires marchands allant et venant de toute la Méditerranée.
A la pointe de Vittoriosa, le Grecale, vent de l’hiver, débarrassé des remparts du Fort Saint-Ange, vient soupirer à mes oreilles.
Face à la Valette, je regarde la journée se terminer, les Maltais rentrer du travail, les amoureux traîner sur un banc, les rares touristes de février se dépêcher pour attraper le dernier ferry. Un ultime rayon de soleil avant que la ville ne disparaisse dans l’ombre de la nuit.
Les mystérieux temples de Tarxien
En haut des sites à visiter à Malte, figurent les temples mégalithiques. Quelques lignes sur ceux de Tarxien avaient fait planer sur moi une aura de mystère et j’étais impatiente de les voir de mes propres yeux. Alors le lendemain de notre arrivée, j’échange un billet de 5€ contre une entrée.
Il reste trop peu de traces de ces quatre temples en forme de trèfle. La toile tendue qui protège le site du soleil m’empêche de prendre du recul. Je n’arrive pas à reconstituer le puzzle, à remonter l’édifice dans ma tête, à me représenter les salles et leurs usages. Je ne ressens rien lorsque je contemple les pierres sculptées vieilles de 5000 ans, que des peuples inconnus ont façonnées sur la terre de Malte. Peut-être cela aurait-il était différent à l’Hypogée de Hal Saflieni mais nous n’avons pas réservé notre visite et elles sont limitées à 60 personnes par jour. Alors les portes de ce sanctuaire qui est aussi une nécropole restent fermées et le mystère entier. Car contrairement aux catholiques qui ont aimé bâtir leurs églises dressées vers le ciel, les premiers Maltais ont choisi de se tourner vers la terre en creusant leurs lieux de culte dans le sol.
Sur le toit de Malte aux falaises de Dingli
Assise face à l’ouest sur les falaises de Dingli, j’ai atteint le point culminant de l’île. 250m de roches sculptées dominent les eaux profondes de la Méditerranée. La Tour Eiffel est plus haute que le point le plus haut de Malte.
Des cultures s’épanouissent en terrasse jusqu’à l’extrême bord des falaises. Rien d’autre au loin qu’un paysage de touches vertes et jaunes, des petites cabanes carrées, quelques bouquets d’arbres, le calcaire blanc des falaises qui scintille dans la lumière et le bleu de la mer et du ciel qui se rejoignent sur la ligne d’horizon. La chapelle Sainte Marie Madeleine, austère, se dresse seule, balayée par le vent.
C’est le seul endroit de Malte où des sentiers de randonnée bien balisés permettent d’explorer l’île à pied. La randonnée est peu développée ici et nous avons du mal à trouver des chemins à parcourir.
Sur la pointe des pieds, je surplombe les vagues qui se brisent aux creux des criques et des arches naturelles.
Le jour s’achève et les falaises aspirent à elles tout l’or et le pourpre du ciel.
Malte du nord au sud – Marfa, Mdina et Marsaxlokk
Par la fenêtre, je regarde Malte défiler. Les villes succèdent aux champs dans un cycle infini.
Malte est dense. Plus de 457 000 personnes y vivent à l’année mais sa population triple l’été. 300 jours de soleil par an attirent les touristes anglais, italiens, allemands et français. La probabilité d’avoir un jour de pluie est directement liée à votre taux de poisse personnelle.
« Un désert calcaire entouré d’eau bleue. C’est là le drame de Malte. »
Nous roulons à gauche, autre héritage de la Couronne britannique. A l’extrême Nord de l’île, la péninsule de Marfa est une langue de terre sèche hérissée de cailloux. J’observe d’un côté le ballet des ferries filant vers les îles de Comino et de Gozo, et de l’autre la baie de Mellieħa et ses stations balnéaires. Un désert calcaire entouré d’eau bleue. C’est là le drame de Malte. Ici pas de rivière pour alimenter en eau potable les cultures et les habitants. La sécheresse frappe durement les sols rocailleux peu fertiles qu’on a largement déboisés. Les nappes phréatiques sont de plus en plus contaminées par les nitrates agricoles. Tandis que les chevaliers de l’Ordre faisaient venir de l’eau potable de Sicile, aujourd’hui de grandes usines dessalent la Méditerranée. Malgré tout, l’eau reste une denrée rare et les Maltais ont appris à économiser chaque goutte.
Une partie de la péninsule est bordée de falaises et de criques paisibles baignées de soleil. On a retrouvé à Malte des fossiles préhistoriques d’hippopotames et d’éléphants nains. Je tente d’imaginer ces animaux sur le sable blanc de Paradise Bay, à une époque lointaine où aucune construction ne venait mordre sur le littoral. Malte est à moins de 300 km de l’Afrique mais ses paysages sont si éloignés de la savane et de la brousse que le décalage est trop grand et je reste perplexe.
A la terrasse d’un restaurant, à quelques mètres de la mer turquoise, je prends le soleil pour la première fois depuis cinq mois devant mon hamburger. Nous cherchons depuis notre arrivée à tester la cuisine traditionnelle maltaise. Celle qui rassemble toutes les influences issues des différentes présences. Mais elle nous échappe. Elle n’est pas servie dans les restaurants. Se savoure-t-elle en privé ? Est-elle trop longue à préparer ? Pas assez sophistiquée ? Je ne trouve pas de réponse et nous repartons sans avoir goûté au plat national, le Tal-Fenek, un ragoût de lapin.
Au cœur de l’île, apparaissant au milieu des champs comme un mirage dans le contre-jour, la ville arabe de Mdina couronne le sommet d’une colline en terrasse de ses solides fortifications. Ses façades de pierres blanchies captent toute la lumière des dernières heures de la journée. Nous n’avons pas le temps de nous arrêter. Nous filons droit vers le sud. La cathédrale devient de plus en plus petite dans le rétroviseur. Et le mirage disparaît.
Dans le calme du soir, les luzzi aux couleurs éclatantes sont bercés par la mer indolente au creux du port de Marsaxlokk. La baie tranquille est ceinturée de palmiers et de vieilles maisons se dépêchant d’attraper les derniers rayons du soleil. Les embarcations traditionnelles aux extrémités effilées sont l’emblème de Malte. Protégées par l’œil d’Osiris peint sur leur coque, elles soulignent l’importance de la pêche artisanale locale.
Les derniers pêcheurs remontent leur filet et rentrent leur bateau sous le cri des mouettes qui s’agitent dans le ciel couvert d’or. J’efface de mon champ de vision la centrale électrique qui n’a rien à faire dans le paysage dont je veux me souvenir.
Je lis quelque part qu’il est possible d’embarquer depuis ce port comme membre d’équipage volontaire en se présentant à la marina et je me vois déjà voguant vers de nouvelles contrées, le nez au vent.♦︎