La route goudronnée se transforme en piste et nous manquons plusieurs fois l’entrée de la réserve de Nazinga. Nous n’arrivons à trouver qu’avec les explications croisées de plusieurs villageois voisins. Les points de repères sont subtils. Il nous faut passer le village de Saro et détecter l’embranchement d’une piste entre deux grands caïlcedrats, sans la confondre avec un chemin de transhumance des éléphants.
Il reste alors une vingtaine de kilomètres à parcourir. Nous apercevons rapidement quelques éléphants qui battent l’air de leurs oreilles d’un air contrarié. Nous préférons ne pas les importuner plus longtemps et poursuivons notre chemin.
Plus connue sous le nom de ranch, Nazinga est à la fois une réserve naturelle et une grande zone d’élevage d’animaux sauvages, initiée en 1979 par deux frères Canadiens nés au Burkina Faso, afin de protéger la faune locale et son habitat. Regrouper une grande quantité d’animaux sauvages permet de pratiquer le tourisme de vision mais aussi la controversée chasse au trophée – qui consiste à payer quelques milliers d’euros pour tuer des animaux, parfois protégés, et en ramener une partie. Les arguments en faveur de cette dernière sont légion : financer la gestion des espaces protégés, lutter contre le braconnage, augmenter la population des animaux sauvages, participer à l’économie locale, générer moins d’infrastructures et minimiser l’impact sur le paysage par rapport aux safaris-photo. Dans les faits, il est difficile de savoir dans quelle mesure les taxes de la chasse sont réinjectées dans la protection de la faune et de la flore. Malgré les quotas, la population des grands mammifères africains continue de baisser – en cause également le réchauffement climatique, la perte de l’habitat naturel et le braconnage.
A Nazinga, les espaces de chasse et de vision sont des zones bien distinctes, séparées par une zone tampon. Les chasseurs et les touristes se partagent les cinq campements de la réserve mais certains sont interdits aux touristes lorsque s’y trouvent des chasseurs. Cela dit bien le malaise qu’il y a à faire cohabiter ces deux pratiques.
Après avoir pris possession de nos cases, nous allons déjeuner au restaurant du camp qui surplombe un point d’eau. Un troupeau d’éléphants vient se baigner. Nous scrutons les pierres qui dépassent de l’eau pour tenter d’établir s’il s’agit ou non de crocodiles camouflés quand l’une d’elles se met à avancer. C’est en fait le cas pour toutes les pierres. Elles se rapprochent du troupeau d’éléphants qui préfère interrompre son bain et s’éloigner en file indienne avant de disparaître derrière les arbres.
En milieu d’après midi, nous rencontrons notre pisteur pour une première exploration de la réserve. Les visites se font en voiture, le pisteur monte à l’avant et indique le chemin. Ce n’est pas la haute saison touristique au Burkina et nous avons le sentiment d’avoir la réserve pour nous seuls. Nous scrutons tous les quatre la végétation avec plus ou moins de concentration et d’efficacité, luttant contre la chaleur et de grosses mouches entrées dans l’habitacle qui nous harcèlent de leurs piqûres.
La savane est sèche et jaune, la terre rouge, les arbres verts.
Les herbes sont hautes et les animaux bien camouflés. Seuls les éléphants dépassent un peu mais leur masse grise se confond avec des rochers.
Nous repérons bientôt des merles métalliques à longue queue et robe bleue irisée puis des cobes de Buffon, petites antilopes à la robe fauve assez répandues, qui détalent au moindre mouvement. Une famille de phacochères cherche sa nourriture parmi les touffes d’herbes, des guêpiers à gorge rouge volent au-dessus de nos têtes. Ils sont minuscules mais leur plumage fait de touches vertes, jaunes et bleues les détachent des branches d’arbres dénudés sur lesquelles ils aiment se poser. Au loin un troupeau de gnous venus s’abreuver à un point d’eau se disperse finalement au galop. Des babouins nous montrent leurs fesses ou trônent sur des branches tombées au sol, imperturbables, attendant que nous ayons passé notre chemin. Nous voyons une antilope apeurée que le 4×4 a séparé involontairement de son petit. Des crocodiles se font sécher bouche ouverte pour se rafraîchir sur les berges d’une mare.
La visite se termine dans la lumière orange de fin de journée. Le soleil se couche sur Nazinga, embrasant la savane.
Nous dînons dans le restaurant du camp. L’espace est séparé de la faune et de la flore par un grillage toute hauteur. C’est un zoo inversé. Les singes à l’extérieur nous regardent manger avec curiosité.
Les soirées au camp sont calmes. Des bruits furtifs, clapotis ou glissement, indiquent que la faune nocturne prend possession de la mare. On perçoit clairement le splash des crocodiles se jetant sur une proie. Dans cette partie du globe, aucune pollution nocturne ne nuit au ciel étoilé.
La deuxième visite s’effectue à l’aube. Il est plus difficile de discerner les animaux dans la lumière grise du petit matin. Les antilopes cheval et cobes de fassa se dissimulent dans les branchages. La lumière vient frapper les cornes d’un mâle un bref instant, l’isolant des herbes jaunes. Des perdrix et des pintades s’enfuient mollement devant la voiture.
Nous sortons du 4×4 pour gravir une colline et contempler le paysage de brousse de la réserve qui s’étend à l’infini.
Des ibis et des hérons peuplent les rares points d’eau, épiés par des crocodiles figés en pierre.
Des calaos blancs et gris au bec rouge crochu se posent dans les arbres ou marchent maladroitement au sol. Plus tard, un troupeau d’antilopes se disperse à notre approche dans un nuage de poussière. ♦︎
Belles photos qui nous font voyager de notre fauteuil. Description pertinente qui décrit bien la réserve. On ferme les yeux et nous y sommes transportés