Les doigts du père de Guillaume tapotent impatiemment sur le comptoir beige de l’agence de location. Installés sur un canapé raide, nous attendons de récupérer notre voiture. Le temps s’étire. Ce sont les grandes vacances et l’île est prise d’assaut par les métros venus passer comme nous leurs fêtes de fin d’année sous le soleil de la Réunion.
Enfin derrière le volant. Nous quittons Saint Denis et le niveau de la mer. Nous prenons de la hauteur, contournons les cirques pour nous faufiler par une entrée entre les montagnes. Au bout d’une piste tortueuse qui danse entre la végétation abondante, le gîte de Bélouve surplombe les reliefs mouvementés du cirque de Salazie.
Autour d’un jardin poli courant jusqu’au bord du rempart, la forêt de Bélouve déploie sa végétation fougueuse. Prémices de la jungle primitive qui nous attend le lendemain.
Après une nuit douillette et un petit-déjeuner copieux, nous quittons tôt le gite pour nous enfoncer dans la forêt de Bélouve. Quelque chose nous attend au bout de cette randonnée que nous ne voulons pas manquer. Quelque chose d’étroitement lié avec la météo capricieuse des Hauts.
Quand je lève la tête, se déroule devant moi un horizon vert impressionniste, percé de temps en temps par l’écarlate d’un fuchsia sauvage.
D’abord large et bordé de tamarins des hauts, le sentier boueux s’amenuise pour ne former qu’une mince ligne glissante, laissant toute la place à la nature exaltée.
Il ne pleut pas mais la forêt est gorgée d’eau et d’humidité. Les massifs brillent comme des trésors dans la pénombre de la canopée.
Je regarde souvent mes pieds pour ne pas me perdre dans les racines dénudées des bois de couleurs. Et quand je lève la tête, se déroule devant moi un horizon vert impressionniste, percé de temps en temps par l’écarlate d’un fuchsia sauvage.
Partout où les yeux se posent des fougères foisonnantes, des lianes, des plantes parasites à l’assaut des troncs noueux, des oiseaux tec-tecs jouants dans les branches et parfois une orchidée discrète qui a réussi à se frayer une place dans ce monde de rivalités où chacun lutte pour accéder à la lumière.
Parfois terrifiante, parfois enjôleuse, la forêt se dresse, imposante. Elle grignote le chemin, nous laisse à peine un espace étroit pour se glisser entre les hauts arbres tentaculaires. Elle nous tolère, puis se penche de plus en plus au-dessus de nos têtes, prête à nous engloutir tout entiers.
Je suis transportée dans le Jurassique.
Dans un silence étouffé, la nature retient son souffle. Nous approchons du but. J’essaie de saisir l’essence de ce lieu avec mon appareil photo mais c’est peine perdue. Car c’est dans ses ombres que je préfère la forêt de Bélouve. J’imagine des êtres mystérieux évoluant à couvert des arbres mousseux et griffus. Tout un univers qui se développe loin des yeux et de mon réflex.
Et puis le rideau de végétation s’écarte et le chemin s’arrête : devant nous le Trou de Fer. Un gouffre béant dans lequel se précipitent sur plusieurs centaines de mètres les eaux de la rivière du Bras de Caverne. Une cascade de nuages s’échappe du ciel et se répand au creux des montagnes, s’enroule autour du Trou de Fer, le dotant d’une longue traine. Il volerait presque la vedette à la chute du Voile de la Mariée. Quelques minutes suspendues avant qu’il ne disparaisse dévoré par le ciel blanc.♦︎