Sur les traces de Vasco de Gama à Belém
Une planche de surf obscure un instant notre vue sur les rails de la gare de Cais do Sodre. Sagement assis sur le quai, nous attendons notre train pour Belém en compagnie de Lisboètes chargés de parasols, de glacières et de serviettes de bain. La ligne mène aux villages balnéaires d’Estoril et de Cascais et à leurs sublimes plages. Je m’imagine un instant à Paris prendre un train de banlieue et, arrivée au terminus, ôter mes tongs et marcher sur le sable chaud en cherchant le meilleur endroit où poser ma serviette.
Descente à Belém.
Un vent de découverte souffle sur l’ancien port, qui a vu le départ de Vasco de Gama pour les Indes en 1498. A une époque où il restait des zones blanches sur les cartes, le navigateur portugais fut le premier à gagner cette partie du monde par la mer, via le cap de Bonne-Espérance, pointe australe de l’Afrique, mettant fin à la suprématie arabe sur la Route de la Soie.
Il ne reste guère de traces de cette activité marchande foisonnante que la Tour de Belém, symbole ultime de cet âge des Grandes Découvertes. Les bateaux de plaisance et les paquebots de croisière ont remplacé les caravelles et les galions. Un jardin plat et une promenade aride et déserte s’étendent sur la rive du fleuve à perte de vue. Tout est à imaginer. Pourtant, plus que partout ailleurs, l’appel du grand large se fait sentir et je suis émue en me baladant le long du Tage, le nez au vent, l’air de la mer balayant mes cheveux. Est-ce aussi ce qu’ont ressenti les générations de marins qui ont foulé les quais du port avant d’embarquer pour un voyage de plusieurs années ?
Derrière le jardin Vasco de Gama, le monastère des Hiéronymites se dresse immédiatement, imposant à tous sa splendeur blanche. Bâti au XVIe siècle grâce aux marchandises issues des comptoirs – épices, soie, or, tapis, pierres précieuses -, sa construction dura 100 ans. Il est l’emblème incontestable de la richesse du Portugal colonial de cette époque.
A l’intérieur, la nef de l’église Santa Maria offre un écrin somptueux aux tombeaux de Vasca de Gama et du poète Luis de Camões, avec sa voûte travaillée portée par de minces piliers ciselés et ses sculptures richement vêtues. Une lumière quasi mystique baigne les stalles du chœur.
Mais le joyau architectural de Belém se cache dans le cloître du monastère. Chaque arche, chaque colonne, chaque balustrade, est finement sculptée d’entrelacs gracieux et de motifs de style manuélin exubérants, évoquant la religion, la royauté, la nature ou la marine portugaise. De cette profusion de symboles, il se dégage pourtant une douce harmonie, renforcée par les teintes blanches et beiges de la pierre.
Sur le chemin de la gare, l’odeur de cannelle des pastéis de Belém se répand dans la rue. Nous faisons une halte pour acheter quelques unes de ces fameuses tartelettes, vendues dans la seule pâtisserie détenant la recette secrète, créée par les moines du monastère des Hiéronymites.
Jardim botânico
Sur un banc du jardin botanique, nous observons les cactus géants et les plantes grasses qui s’étirent vers le ciel. Fondé en 1873 par l’école polytechnique afin que les étudiants et le public puissent découvrir et étudier la flore des colonies, le jardin semble aujourd’hui oublié des Lisboètes.
Nous cheminons sur les larges allées bordées de beaux palmiers venant des quatre coins du monde, hésitons entre un escalier romantique et un sentier s’enfonçant dans une végétation luxuriante. Des ruisseaux et des cascades irriguent de temps à autre des plantes subtropicales. Le buste sculpté d’un inconnu apparait sous les feuilles d’un bananier soyeux. La serre aux papillons n’abrite plus que quelques spécimens occupés à butiner mais dégage un charme désuet.
Bâti à flan de colline, le jardin botanique paraît hors du temps, coupé du reste de la ville. La nature y évolue à son rythme, loin de l’activité fébrile des hommes.
Força Portugal
Pour notre dernière soirée à Lisbonne, la finale de la coupe d’Europe de football est projetée sur l’élégante Praça do Comércio, la place du Commerce. Le Portugal joue contre la France, pays hôte de la compétition. Après un match tiède, Eder marque le seul but de la soirée et offre au Portugal son premier titre européen.
Explosion de joie et de pétards sur la place. Les abri-bus, les lampadaires et la statue équestre de Dom José Ier sont pris d’assaut par la foule en liesse. Un homme bodybuildé essuie des larmes de joie. Un feu d’artifice est tiré en hâte. Nous croisons quelques supporters français dépités que les Portugais embrassent chaudement. Mélange de joie et de tristesse. Nous sommes déçus pour la France mais l’euphorie des Lisboètes est contagieuse. La ville se pare des couleurs du drapeau portugais. Des messages félicitent l’équipe nationale jusque sur les panneaux d’information du métro. Les vendeurs de rue sortent immédiatement des écharpes à la gloire du pays.
Dernières heures dans le Baixa – Chiado
L’ascenseur vertigineux de Santa Justa, issu de la topographie extraordinaire de la capitale, fait le lien entre la ville basse et la ville haute. Haut de 45 mètres, c’est le roi des ascenseurs. 45 mètres de fer forgé se prolongeant par un belvédère et une passerelle dominant les toits de tuiles rouges du quartier de Baixa. Nous passons nos dernières heures à Lisbonne à nous imprégner du cœur historique de la capitale, pour en mémoriser les façades pastels et les rues vibrantes, et les faire revivre, à l’occasion, dans nos souvenirs. ♦