A Bobo Dioulasso, nous sommes accueillis par Max et Charlie, les filles de Noreen, et leur père, Pierrealy. Les filles retrouvent avec bonheur leur mère dont elles n’ont jamais été séparées, et Noreen les porte bravement chacune sur un bras.
Située dans le Sud-Ouest du Burkina Faso, Bobo Dioulasso est la deuxième métropole du pays mais conserve le charme d’une ville de brousse. De larges avenues rectilignes goudronnées à la circulation dense et hétéroclite et des rues secondaires poussiéreuses, encombrées et animées, découpent la ville en quartiers. Ses pistes rouges bordées de grands arbres exhalent une atmosphère tropicale.
Bobo Dioulasso signifie la maison des Bobo-Dioula, en hommage aux deux principales ethnies qui l’ont fondée et fait grandir.
Noreen et Pierrealy occupent une maison d’architecture moderne dans le secteur 5 – sur 29 -, où vivent la plupart des expatriés. Devant la maison de plein-pied s’étend un jardin avec quelques manguiers, karités, frangipaniers, moringas et bambous. C’est sur la terrasse abritée faisant face au jardin que nous passons la plupart de notre temps, à observer les lézards se chauffer contre l’écorce des arbres, à caresser les deux chiens jamais rassasiés et à discuter le soir.
L’espace de la terrasse est rythmé par les couleurs des éléments qui nous entourent : l’ocre des briques et le blanc des murs de la maison, le noir des menuiseries et des poteaux carrés supportant la toiture plate, le brun des meubles de style colonial, le rouge de l’herbe roussie et de la terre. Nous déjeunons sous l’œil de grands masques africains apportés par Noreen de Côte d’Ivoire, son lieu de naissance. Des plantes exotiques, dont de jeunes baobabs, disposées dans de grands pots de terre bordent la terrasse et achèvent de lui donner une atmosphère agréable et dépaysante.
La fille aînée de Noreen et Pierrealy est scolarisée à l’école française, située en face de l’Alliance Française et ces deux pôles créent une bulle communautaire à Bobo. On croise rapidement les mêmes personnes d’un lieu à l’autre. C’est dans cette communauté que Noreen et Pierrealy ont fait la connaissance de Fabrice, un Français marié à une Burkinabè. Fabrice possède un atelier de fabrication d’instruments de musique traditionnelle d’Afrique de l’Ouest. Avant de partir, nous avons reçu 10 kg de clous de charpentier à amener au Burkina dans nos bagages et leur utilité nous va nous être révélée lors de la visite de l’atelier.
L’atelier BaraGnouma
L’atelier BaraGnouma est constitué d’une cour autour de laquelle s’organisent plusieurs espaces de travail couverts et deux bâtiments fermés. Dans le bureau, de très beaux n’goni suspendus attendent d’être expédiés à des musiciens quelque part dans le monde. Instrument à cordes, le n’goni, petit cousin de la kora, est constitué d’une calebasse évidée recouverte d’une peau de chèvre tendue, formant la caisse de résonance. Elle se prolonge d’un manche en bois dont le nombre de cordes varie selon la gamme pentatonique ou diatonique privilégiée par l’acquéreur. Les clous de charpentier viennent fixer et décorer la peau de chèvre sur la calebasse. L’objet est d’une grande beauté.
A côté des n’goni sont entreposés des balafons, pareils à des xylophones de bois. Des lattes de taille croissante reposent sur des calebasses percées permettant au son de s’échapper. Leur nombre dépend comme pour le n’goni de l’accordement choisi. Les instruments sont tous d’un grand raffinement.
Le bois ambré reluit, les peaux de chèvres sont souples, les instruments répondent à un camaïeu de tons beiges, ocres et bruns qui parait contenir toutes les nuances de terre du Burkina Faso.
La fabrication des instruments est scindée en plusieurs étapes sur lesquelles travaillent entre une et trois personnes. Il y a ceux qui débitent et fendent le bois. Ceux qui creusent les djembés ou les tamtam. Ceux qui façonnent les manches des n’goni quand d’autres posent la clé. Ceux qui tendent les peaux de chèvres sur les calebasses. Ceux qui taillent les lames des balafons, qui seront mises plus tard à sécher dans des fours solaires en toiture de l’atelier. Ceux qui préparent la structure de l’instrument, celle qui va accueillir les calebasses puis les lamelles de bois. Assister à la genèse de ces instruments de musique est passionnant.
Les hommes travaillent à même le sol dans la cour ombragée ou sur des bancs sous des appentis. Ils sont à la fois détendus et concentrés, leurs gestes sont précis, répétés, patients. L’un d’entre eux est aveugle. D’un mouvement assuré, il façonne et accorde les lames d’un balafon. Tous semblent apprécier d’œuvrer à la fabrication de ces instruments. Pourtant, ils n’en joueront probablement jamais, sauf pour les démonstrations, car les instruments sont entièrement destinés à l’exportation.
Balafon, djembe, doum, dunun, kora, n’goni, font partie des instruments traditionnels fabriqués par Fabrice. Certains sont faits sur mesure. Essence du bois, nombre de cordes ou de lames, taille des calebasses, couleurs des mécaniques sont alors personnalisés sur commande.
On peut observer toutes les étapes de fabrication, depuis la forge des outils spécifiques qui vont servir à façonner les différents éléments, jusqu’à écouter le son de l’instrument achevé joué par l’un des artisans de l’atelier, sur le site de BaraGnouma.
Le soir et le weekend, les fabricants d’instruments troquent leurs costumes d’artisans pour devenir musiciens dans les cabarets de la ville. Rendez-vous est pris pour aller pour assister à un concert le dimanche suivant dans l’un d’eux.
Balafon au Poto Poto
De la musique s’échappe de la cour d’une maison. Cette maison, c’est le cabaret Poto Poto, un bar à ciel ouvert de Bobo Dioulasso où l’on vient boire de la dolo, la bière de mil locale, et écouter du balafon.
Au fond de la cour, l’orchestre, et derrière lui, le public, assis sur des bancs, à l’ombre d’un toit en tôle ondulée. Deux joueurs de balafon accompagnés de deux joueurs de bara, un tambour fait d’une calebasse et d’une peau de chèvre, égrainent des notes gracieuses dans la chaleur de l’après-midi. Les deux hommes aux balafons se répondent, le son de l’instrument est doux, un peu métallique, plein de rondeur. Il berce la pensée pour mieux la faire vagabonder.
Chacun est libre de chanter, et le chant est monopolisé par un seul homme pendant tout le concert auquel nous assistons. Les chansons peuvent évoquer quelqu’un de l’assistance ou des sujets spirituels ou sacrés.
Poto Poto signifie boue en Dioula, ainsi qu’est censé ressembler le sol du cabaret à la fin des concerts à cause des pas des danseurs, mais cet après-midi seuls le chanteur autoproclamé et un autre homme s’agitent devant les musiciens. Aujourd’hui, on vient surtout pour se retrouver et boire de la dolo. A l’origine, les musiciens jouaient pour signifier qu’on vendait cette bière locale dans le cabaret et appeler le passant. Désormais, les musiciens jouent le dimanche, de 10 heures à 12 heures puis reprennent à 15 heures. La journée s’achève lorsqu’il n’y a plus de dolo.
Nous déboursons 300 francs CFA pour deux litres de bière, soit 45 centimes d’euro, que nous payons à la dolotière à la fin du concert. La brasserie est située dans la cour du cabaret, un four et des grandes bassines de mil en fermentation. La boisson est chaude, déconcertante lorsqu’on s’attend par réflexe à une bière bien fraîche. La dolo est une bière sans houblon qui fermente rapidement et peut être servie dès le lendemain de sa préparation. Nous voyons d’ailleurs les nôtres continuer à fermenter à mesure que nous les buvons. On nous prête un cercle de bois pour poser nos calebasses de dolo sur le sol et une petite planche en guise de couvercle pour protéger la boisson de la poussière et des mouches.
Le public est un mélange de femmes apprêtées vêtues de wax chatoyants et d’hommes en tenue décontractée, et plus ou moins alcoolisés.
Le concert se termine. Chacun donne un billet aux musiciens à hauteur de son appréciation. Les spectateurs s’éparpillent doucement. Ce sont traditionnellement les meilleurs musiciens qui sont applaudis. La musique des cabarets est davantage considérée comme un accompagnement ou un juke-box que comme un concert. Ainsi l’orchestre est de plus en plus souvent remplacé par une sono et les concerts de balafon sont une tradition qui tombe en désuétude. ♦