Midi. Je claque la portière et balance mon sac sur mon dos. Soleil, lumière, chaleur. Pire heure pour commencer notre première randonnée de la saison. Nous nous éloignons de la voiture laissée sur le bas-côté à l’ombre d’un charme et attaquons le sentier. Le chemin s’élève, vite, fort, sans concession. En contrebas, le fort du Portalet sortant de la roche grise surplombe la vallée d’Aspe endormie.
Alors apparaît le chemin de la Mâture, arraché à la falaise de marbre. En 1776, des ouvriers suspendus au-dessus de la gorge d’Enfer creusèrent dans la roche ce sentier large de 2 à 3 mètres. Il s’agissait de pouvoir descendre sur des attelages de boeufs de longs troncs de sapins destinés à la rénovation de la flotte royale. Aujourd’hui ce sont les randonneurs qui l’empruntent.
Devant moi, un homme surgit d’un buisson et se met à descendre en rappel la paroi à pic qui tombe dans le ravin du Sescoué. Ils sont plusieurs à se laisser glisser ainsi dans le vide. Je serre la paroi blanche et la touche de ma main, pour m’ancrer dans la montagne.
Des bruits de sabots résonnent plus haut. Un âne noir mené par un Stevenson barbu du XXIe siècle caracole sur les pierres usées. Nous croisons plusieurs randonneurs avec des ânes et certaines familles en ont même deux ou trois. Les ânes peuvent porter jusqu’à 40kg. Ils allègent ainsi les épaules et permettent aux plus jeunes d’apprécier la randonnée itinérante. Je ne sais pas si j’aimerais faire porter mes affaires par un âne mais je sais que j’aimerais l’avoir pour compagnon de route.
La chaleur est agressive dans cette montée sans fin sur les roches polies et glissantes. L’ombre d’un vautour plane sur le flanc de la montagne et je me sens défaillir. J’ai chaud et pire, j’ai faim.
La pénombre bienveillante du sous-bois s’ouvre enfin sur nos pas. Les fougères malmenées par le vent s’affolent mollement. Je reprends des forces et nous poursuivons l’ascension.
Un instant et l’horizon s’ouvre sur un pic au nom inconnu fendu en deux comme une fossette.
Une forêt tout droit sortie des studios Ghibli avance ses arbres torturés le long du sentier. Dans mon dos ils murmurent, prêts à m’avaler. A mes pieds l’ombre des feuilles danse sur une musique qu’elles sont seules à percevoir.
1280m. Au point culminant de la randonnée, le col d’Arras a semé ses rares fleurs sauvages parmi l’herbe sèche. Face à nous, les sommets dégagés de la vallée d’Aspe. Tout en bas, les fermes plantées à flanc de montagne ont des airs de jouets abandonnés sur un tapis herbeux.
Des familles espagnoles laissent l’après-midi s’écouler à l’ombre des vieux arbres.
Je me dis qu’elles ont tout compris.
Nous entamons la descente et retrouvons le sous-bois dont le soleil diffus ne fait que renforcer l’obscurité. Randonner en montagne ce n’est que cela : atteindre un point haut puis redescendre. Ni plus, ni moins. Sur le papier, cela paraît vain. Dans le monde réel, cela prend tout son sens. C’est un éventail d’émotions et de sensations, un retour aux choses primitives et naturelles. Je ne me pose plus de questions existentielles, j’avance et j’observe, je sens et j’écoute la nature.
Dans une petite clairière criblée de soleil, nous croisons un âne timide qui n’ose pas demander de caresses. Il rechigne à avancer, préférant siroter tranquillement l’eau d’un abreuvoir. Note pour moi-même : randonner avec un âne, c’est aussi devoir convaincre une autre personne en plus de soi de continuer à avancer.
Plus loin je perçois le bruit de l’eau qui rebondit sur les pierres. Un ruisseau trace son chemin sur la pente de la montagne. Je laisse ma main goûter à son eau fraîche. Le chemin s’élargit pour rejoindre une piste. Enfin la route puis la voiture qui nous attend. Il est temps de retrouver la tente et de préparer la suite.♦︎
Je ne connaissais pas du tout cet endroit, je le mets dans notre liste des randonnées à faire dans le coin, merci 🙂 Toujours une aussi belle plume et de magnifiques photos !
Merci beaucoup Paulyne pour tes mots, je suis contente que ça t’aie donné envie de faire cette belle randonnée !